Qui es-tu?
Un Г©tranger.
Sois le bienvenu. Tout ce qui est Г©tranger Г cette ville m’est cher. Quel est ton nom?
Je m’appelle PhilГЁbe et je suis de Corinthe.
Ah? De Corinthe? Moi, on m’appelle Г‰lectre.
Tu es belle. Tu ne ressembles pas aux gens d’ici.
Belle? Tu es sГ»r que je suis belle? Aussi belle que les filles de Corinthe?
Oui.
Ils ne me le dissent pas, ici. Ils ne veulent pas que je le sache. D’ailleurs Г quoi Г§a me sert-il, je ne suis qu’une servante.
Servant? Toi? Tu n’as jamais songГ© Г t’enfuir?
Je n’ai pas ce courage-lГ : j’aurais peur, seule sur les routes. Ah bien! J’attends quelque chose.
Quelque chose ou quelqu’un?
Je ne te le dirai pas. Parle plutГґt. C’est une belle ville, Corinthe?
TrГЁs belle.
Je te parais niaise? C’est que j’ai tant de peine Г imaginer des promenades, des chants, des sourires. Les gens d’ici sont rongГ©s par
la peur. Et moi …
Toi?
Par la haine. Et dis-moi encore ceci, car j’ai besoin de la savoir Г cause de quelqu’un que j’attends : suppose qu’un gars de Corinthe, un de ces gars qui rient le soir avec les filles, trouve, au retour d’un voyage, son pГЁre assassinГ©, sa mГЁre dans le lit du meurtrier et sa soeur en esclavage, est-ce qu’il filerait doux, le gars de Corinthe, est-ce qu’il s’en irait Г reculons, en faisant des rГ©vГ©rences, ou bien est-ce qu’il sortirait son Г©pГ©e et est-ce qu’il cognerait sur l’assassin jusqu’Г lui faire Г©clater la tГЄte?
Г‰lectre!
Chut!
Qu’y a-t-il?
C’est ma mГЁre, la reine Clytemnestre.
Г‰lectre, le roi t’ordonne de t’apprГЄter pour la cГ©rГЁmonie. Tu mettras ta robe noire et tes bijoux. Tu es princesse, Г‰lectre, et le peuple t’attend, comme chaque annГЁe.
Sais-tu ce qu’ils font, PhilГЁbe? Il y a, au-dessus de la ville, une caverne on dit qu’elle communique avec les enfers. A chaque anniversaire, le peuple se rГ©unit devant cette caverne, des soldats repoussent de cГґte la pierre qui en bouche l’entrГ©e, et nos morts remontant des enfers, se rГ©pandent dans le ville. Ils courent partout. Je ne veux pas prendre part Г ces mГґmeries. Ce sont leurs morts, non les miens.
Si tu n’obГ©is pas de ton plein grГ©, le roi a donnГ© l’ordre qu’on t’amГЁne de force.
De force? … ha! Je paraГ®trai Г la fГЄte et, puisque le peuple veut m’y voir, il ne sera pas déçu. A bientГґt, je vrais m’apprГЄter.
